Photo du spectacle Incandescences d’Ahmed Madani, le 13 janvier à l'Escale de Melun - Agrandir l'image
Incandescences
© Francois-Louis Ahténas 

Interview

Ahmed Madani, "Des spectateurs touchés par les récits qu’ils écoutent"

Avec Incandescences, Ahmed Madani fait entendre, au détour d’un somptueux travail créatif, la voix d’une jeunesse qui s’exprime peu. Ce spectacle, dont le succès ne se dément pas depuis deux ans, sera interprété sur la scène de l’Escale, à Melun, vendredi 13 janvier 2023.

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Incandescences est le dernier volet d’une trilogie intitulée "Face à leur destin". Comment ce projet a-t-il mûri ? 

Mon idée initiale était de rencontrer des jeunes issus des quartiers populaires et dont les parents ont connu l’exil. Je voulais engager un dialogue avec eux, évoquer leur histoire personnelle et familiale, leur parcours de vie et leurs espoirs, ainsi que leur rapport au monde. Je ne savais pas quelle serait la temporalité de ce travail, ni ce qu’il en sortirait. Au fil des rencontres, des thèmes se sont peu à peu imposés, autour desquels se sont structurées trois pièces chorales : Illumination(s) en 2012, F(l)ammes en 2016 puis Incandescences en 2020. J’ai ensuite cherché à développer des spectacles plus légers et plus intimistes. Au final, ce sont donc six pièces différentes, mais enchâssées, qui se répondent les unes aux autres. Une sorte d’œuvre unique en six chapitres.

"illumination(s)" - Madani Compagnie

D’une idée très ouverte, au départ, est donc née une création très concrète...

Le travail de réflexion et d’écriture s’est étalé sur plus de dix ans. Aujourd’hui, les six pièces existent. Chacune a une vie autonome, avec un texte définitif édité chez Actes Sud. Elles ont déjà donné lieu à plus de mille représentations et continuent à tourner. Nous jouons à Paris, en banlieue et en province, autant sur des scènes nationales que dans des théâtres municipaux. Et le public est toujours là ! 
 

F(L)AMMES - Madani Compagnie

De quelle façon le travail de création s’est-il construit ?

Ce fut très progressif. J’ai commencé par rencontrer une centaine de garçons et autant de filles. Les théâtres, avec lesquels nous travaillons depuis plusieurs années, ont servi de courroie de transmission, en relayant notre proposition au sein des missions emploi ou des établissements scolaires. Le principe est simple : vous avez envie de parler de vous, vos parents ont connu l’exil, venez.

Puis, pendant une semaine, nous échangeons. Ils ont tous des choses à dire, que ce soit sur leur vie, leur famille, leurs joies et leurs peurs, ou leur vision de l’avenir. Quant à moi, j’expose ma manière de travailler. Ce sont des rencontres fondée sur l’humain, sans intermédiaire. J’écoute et je collecte ce que j’appellerai du matériau vivant. Le thème de l’amour est apparu comme central : comment êtes-vous venus au monde ? Vos parents ne sont pas seulement des forces de travail, ils se sont aimés, désaimés, quittés, retrouvés.

J’organise ensuite des ateliers dans plusieurs villes où, après quelques exercices de théâtre, nous avançons dans la conception du spectacle. Il est nécessaire qu’ils comprennent l’enjeu du travail que nous menons et qu’ils ouvrent leur cœur. Certains préfèrent arrêter. D’autres continuent. Ils me choisissent autant que je les choisis. Au bout du compte, il reste vingt jeunes gens. Ce sont eux qui font le spectacle.

L’écriture est-elle aussi un travail collectif ?

Je puise dans les récits de vie qui m’ont été livrés, mais j’écris seul. Les pièces sont très écrites, même si l’interprétation sur scène doit donner l’illusion que c’est improvisé. Je propose un texte à chacun de mes jeunes interprètes. Ils peuvent évidemment le contester ou le refuser. Je le modifie, si besoin, jusqu’à ce qu’ils aient envie de se l’approprier et de le dire sur scène. Il faut prendre ce temps. Les textes ne sont pas anodins, l’épaisseur des récits se construit dans la temporalité.

INCANDESCENCES d'Ahmed Madani - Teaser

Quelle est la réaction du public ?

Partout, les salles sont pleines, avec des standing ovations. Les spectateurs sont touchés par les récits qui leur sont contés sur scène. Comme le disait Tolstoï,

si tu veux parler de l’universel, parle de ton village

Je suis auteur et metteur en scène. Autour d’un projet artistique, je creuse un sillon. Dans Incandescences, vingt jeunes gens, authentiques, parlent d’eux, profondément. Cela pique la curiosité des spectateurs, car ils n’ont jamais vu ça. Il y aussi un jeune public, qui a moins l’habitude de venir au théâtre. Tous sont très différents et ne réagissent pas aux mêmes scènes, mais ils manifestent tous le même appétit de découvrir et d’écouter. 

 

Propos recueillis par Virginie Champion (agence TOUTécrit)